L’interview du mois : Pascal Grégoire, co-fondateur de la maison créative Justement.
crédit photo : Fifou
Alumnus Celsa, Pascal Grégoire, grande figure du monde des agences de communication, a présidé dans les années 2000 la mythique agence CLM/BBDO avant de co-fonder l’agence La Chose en 2006. Pascal est maintenant écrivain mais aussi co-fondateur d’une maison d’édition, Novice, d’un studio de production de podcasts, SAGA sounds, et de la toute nouvelle agence solidaire « Justement » pour défendre les talents indépendants de la communication. Il a accepté d'évoquer avec nous son parcours, le CELSA, les Alumni, ainsi que sa vision de créatif et de serial entrepreneur !
Bonjour Pascal. Pourriez-vous nous parler de votre parcours et de vos débuts dans le monde des agences ?
Bonjour. Après un cursus en économie à l’université de Nancy, j’ai été reçu au CELSA en 3e cycle (en Master 2 selon la nomenclature d’aujourd’hui !). Ensuite, j’ai intégré une agence de communication indépendante BCRC puis rapidement CLM BBDO en 1988-89. J’ai débuté comme commercial et chef de pub mais ce qui me plaisait réellement c’était la créativité et le monde des créatifs, un vrai monde à part dans une agence à cette époque. J’étais certes apprécié des créatifs car j’amenais souvent des idées dans ma besace mais de là à passer du commercial à la création, cela paraissait impensable. C’est Philippe Michel qui m’a donné ma chance en tant que concepteur-rédacteur. Je me souviens encore de mon tout premier brief… C’était sur la tournée d’été du Figaro, dossier pour lequel les créas ne se battaient pas à l’époque. Premier brief, première campagne primée, j’étais lancé !
Un parcours c’est surtout une affaire de rencontres humaines et de confiance… Je suis ensuite entré dans le groupe Havas où j’ai été rapidement propulsé Directeur de création de l’agence Eurocom à l’âge de 27 ans. Une équipe de plusieurs dizaines de personnes à diriger, ce fut le grand saut pour moi et une expérience très formatrice sous la houlette de Jacques Hénocq, président de l’agence. Et comme cela arrivera à deux reprises dans ma carrière, j’ai été rappelé par une agence où j’avais déjà travaillé, l’agence BCRC, dirigée par Jean Charles Benchétrit qui avait alors besoin d’un directeur de création.
Qu’est-ce qui vous a poussé vers l’entrepreneuriat ?
De retour dans l'agence de mes débuts comme directeur de création, j’ai goûté à l’indépendance et cela deviendra, avec la création, le deuxième fil rouge de ma vie professionnelle. Quelques temps après, l’agence londonienne Leagas Delaney me contacte pour lancer une filiale en France. C’est là que le virus de l’entrepreneuriat a commencé son chemin. J’endosse alors le rôle de Président en plus de celui de Directeur de Création, ce qui est cohérent car les créatifs représentent pour moi la vraie valeur ajoutée d’une agence !
En 2003, je retourne à nouveau sur les lieux de mes premières amours… professionnelles. Rappelé par CLM BBDO, je ne vais pas ménager ma peine pendant plus de 3 ans en tant que dirigeant mais je me sens enfermé dans un carcan un peu lourd… Le virus de l’entrepreneuriat se réactive alors et je décide avec Eric Tong Cuong de l’agence Young, de monter en 2006 notre propre agence. Notre vision ? Placer le digital au cœur de celle-ci pour proposer des campagnes intégrées à nos clients, chose peu aisée dans des groupes de communication tentaculaires avec de plus en plus de filiales spécialisées ! La Chose, notre agence, était née ! Et pendant près de 14 ans en tant que président et co-fondateur, j’ai vécu une expérience gratifiante et véritablement inoubliable !
Quelle est votre actualité après cette première épopée entrepreneuriale ?
En 2017/18, j’ai assouvi un fantasme, celui d’écrire et de trouver un autre rythme en sortant un peu de cette effervescence permanente. Mon premier roman « Goldman sucks » aux éditions Le Cherche Midi paraît. Je commence à m’intéresser fortement au monde de l’édition et j’enchaîne sur mon 2ème roman « Monsieur le Maire ». Je me décide enfin à sauter le pas et j’informe les équipes de mon départ fin février 2020, veille du premier confinement. L’équipe en place est solide, les clients comprennent ma décision, je pars serein. J’ai alors en projet mon 3e livre sur le thème de l’écologie mais je ne parviens pas à me lancer dans ce 3e projet, assez lourd dans sa thématique, trop lourd dans ce contexte anxiogène.
Pendant ce confinement, je multiplie les projets ! Je continue certes d’aider Timothé Guillotin à lancer la maison d’édition Novice, mais je m’investis aussi dans Maison Fragile spécialisée dans la porcelaine créative de Limoges. Je lance également une boîte de podcasts SAGA sounds. Mais la publicité me manquait, comme le héros de la série Breaking Bad qui répond à « Pourquoi je continue ? Car j’adore le faire et que je le fais bien ! » J’ai décidé de ne pas m’interdire d’exercer cette passion qui m’anime depuis 30 ans.
Un phénomène m’y a encouragé : beaucoup de talents indépendants créatifs se retrouvaient en grande difficulté depuis le confinement car peu protégés par le chômage partiel. Est née alors l’idée, avec Nathalie Cortial, ex-publicitaire elle aussi très engagée, de construire une communauté de talents indépendants, une agence solidaire « Justement ». Notre idée ? Les sortir de l’isolement en les intégrant dans un réseau avec des conseils et de la formation. C’est une chose d’être free-lance et une autre de devenir indépendant et de bien gérer son activité ! L’autre idée est de rémunérer à leur juste valeur les talents (aucune commission prise sur leur travail), réduire le délai de paiement (30 jours au maximum) et surtout leur redistribuer 30% de nos profits. Pour les annonceurs nous créons des équipes sur mesure, cela nous permet d’avoir une grande agilité. Nous avons déjà gagné quelques clients depuis la création de Justement en mars 2021, noué un partenariat avec un organisme de formation et aussi relancé le mentorat intergénérationnel.
illustration de Mathieu Persan
Ma vie a toujours été centrée sur les créatifs… Il était donc normal que je trouve un moyen de les aider et de les défendre. Dans notre tribune publiée dans le Huffingtonpost, nous demandons à ce que le statut des indépendants créatifs évolue. Plus d’un million de personnes sont concernées par cette filière à haute valeur ajoutée, pourtant complétement oubliée par l’Etat !
Quelle est votre plus grande fierté ou votre plus belle réalisation ?
D’un point de vue créatif, je pense à plusieurs campagnes phare comme celle d’Adidas en 1998 « La Victoire est en nous » ou encore la campagne « Ranger » d’Ikea, une réalisation chère à mon cœur de créatif publicitaire. Je rêvais de travailler avec Ikea et cette collaboration s’est révélée fructueuse pendant plus de 9 ans. Ils sont passés de la 7ème place à la 1ère sur le marché de l’ameublement, pas uniquement grâce à nos campagnes publicitaires mais surtout grâce à leur incroyable développement avec des ouvertures de magasins en pagaille ! J’ai adoré me pencher sur ces enjeux de commerce, de Retail avec de la PLV, des produits et du design !
Autrement, ce qui me rend le plus fier, ce sont tous ces créatifs que j’ai pu accompagner et les aspects humains de ce métier. J’ai adoré transmettre ma passion et les ouvrir à ces métiers. Je pense que je dois cette aptitude à mes racines… Avec un père instituteur et directeur d’école, difficile d’échapper à la vocation de transmettre et d’enseigner ! J’ai d’ailleurs exercé comme professeur auxiliaire dès mes années de fac. C’est quelque chose qui est vraiment ancré en moi.
Pourquoi avoir choisi spécifiquement le CELSA ?
Je suis issu d’une tradition universitaire. J’avais d’ailleurs suivi au préalable un cursus à la fac en sciences-économiques. J’ai été aussi élevé dans cette tradition de l’école publique avec un père directeur d’école.
Déjà attiré par le monde de la communication pendant mes études universitaires, le CELSA représentait pour moi le sésame indispensable pour y entrer ! J’ai travaillé d’arrache-pied car j’étais terrifié par le niveau de son concours d’entrée. C’était vital pour moi d’obtenir cette école qui est considérée comme une des meilleures dans le domaine, en plus d’être publique et donc accessible pour le budget d’un boursier. C’est pourquoi cette école me correspondait aussi en matière de valeurs, cela représentait le temple du savoir et de la culture qui donnait sa chance aux plus méritants, sous l’égide d’une prestigieuse université : La Sorbonne !
Le CELSA vous a-t-il servi dans votre vie professionnelle ?
Le CELSA représentait à mes yeux une de mes seules chances d’intégrer le monde de la communication et des agences. J’ai d’ailleurs obtenu un stage de fin d’études au sein de l’agence Australie. Je crois fermement à l’ascenseur social et ce dernier cycle au CELSA s’inscrivait dans une logique absolue et cohérente dans mon parcours : du lycée public jusqu'à l’université.
Le CELSA incarne une école de référence et d’excellence avec des intervenants de grande qualité. Dans les années 80, elle proposait déjà une vision pédagogique novatrice car elle mettait l’accent sur les travaux de groupe et surtout sur l’importance des présentations et des soutenances orales. Finalement, quand on y réfléchit bien, c’est ce dont tu as vraiment besoin tout au long de ta vie professionnelle… Parvenir à travailler avec des personnes de tout horizon, à présenter à l’oral tes idées, à les mettre en valeur et à convaincre ton auditoire. Sans cela, même la plus belle idée du monde reste au placard !
Cette école te pousse également à approfondir tes connaissances et tes pratiques en réfléchissant au sens des problématiques de communication que tu rencontres. J’ai adoré cette période qui correspondait aussi à celle de la jeunesse et des amitiés estudiantines !
Avez-vous un conseil pour les étudiants et les alumni ?
Nous vivons une période difficile avec cette crise sanitaire, mais d’ici 20 ans se profile déjà une crise d’une autre nature, écologique cette fois-ci. Tout s’accélère… Pour les étudiants actuels c’est une expérience douloureuse. Notre monde a cruellement besoin de personnes qui ont des idées, associées à un esprit d’entreprendre. Donnons le pouvoir à l’imagination ! Si tout le monde ne peut être créatif, tout le monde peut inventer.
Aujourd’hui, c’est un des meilleurs moments pour entreprendre face au défi de ce monde en transition car je suis persuadé que faire émerger un nouveau monde passera par la communication à travers ses métiers en pleine évolution et des pratiques renouvelées ! J’ai foi en notre avenir en tant qu’humain et communicant ! La quête de sens est d’ailleurs encore plus prégnante pour ces nouvelles générations.
Que ce soit au niveau des talents que je défends, de l’école ou des alumni CELSA, je suis maintenant entré dans une phase où ce qui m’importe le plus, c’est de donner aussi en retour : de mon temps, de mon expérience et de ma créativité !
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