L’interview du mois : Mathieu Luciano, chef du bureau de l’OIM au Liban
Alumnus Celsa, Mathieu Luciano est actuellement chef de bureau de l'OIM (organisation internationale pour les migrations) au Liban. Il a accepté d'évoquer avec nous son parcours, le CELSA, ainsi que sa carrière à l'international. Dans cet interview, Mathieu nous fait part aussi de ses engagements forts. Il se décrit lui-même comme un rêveur qui se réjouit de chaque progrès. Il a coeur de garder la foi et l'espérance pour motiver ses équipes à continuer de soulever des montagnes...
Bonjour Mathieu. Qu’est-ce que l’OIM ?
L’organisation internationale pour les migrations (OIM) est intergouvernementale et existe depuis 1951. Mais, ce n’est que depuis 2016, que l’OIM est une agence des nations unies. L’OIM s’occupe des migrations internes et internationales. Sa mission est de soutenir les états pour gérer la migration irrégulière et, en même temps, leur rappeler leurs obligations internationales ainsi que veiller à la protection des droits des migrants.
Notre travail consiste donc à appuyer les gouvernements pour l’élaboration de lois, programmes, ou politiques migratoires ainsi que pour leur mise en pratique, en vue de la gestion des frontières, et l’intégration des migrants ainsi que leur protection. Les migrants ont alors trois alternatives : soit ils s’intègrent, soit ils rentrent dans leur pays d’origine, soit ils sont réinstallés dans un pays tiers (Canada , Suède … ) en vertu de la convention de Genève de 1951. Il peut être aussi question du « partage de la tâche avec le pays voisin de la zone de crise».
Enfin, il faut préciser que les réfugiés qui fuient leur propre pays pour cause de guerre (par ex : syriens, ukrainiens), sont du ressort du haut commissariats des nations unies aux réfugiés, avec lequel on collabore.
Quel est votre parcours académique ? Et quel rôle a joué le CELSA dans votre choix professionnel ?
J’ai d’abord effectué deux ans de prépa littéraire puis une licence d’histoire, à l’université de Strasbourg. De 1998 à 2000 j’intègre le Celsa, et j’obtiens une licence et un master en info com. Je m’inscris ensuite au mastère de RH au Celsa… Mais, je fais finalement le choix de Sciences po, pour leur approche plus sociologique de la spécialisation en ressources humaines !
Si mes formations diverses témoignent d’une chose, c’est bien d’une approche large… pour ne pas avoir à choisir ! Justement, une fois diplômé de Sciences po, je ne savais pas quoi faire. C‘est une professeure du CELSA, Brigitte Besse, qui était en même temps ma voisine à Paris, qui m’a orienté en 2002 vers l’OIM, afin d’y effectuer un stage.
Qu’est-ce qui vous prédisposait à rejoindre cette organisation ?
S’assurer que les migrants sont respectés, qu’ils ne sont pas exploités, et donc leur assurer un parcours sûr, est une belle mission ! Étant moi-même petit fils de migrants italiens, et de mère française, je suis porté par les valeurs humanistes. Je suis sûrement aussi altruiste, et je rêve de justice et d’égalité sociale. Idéaliste, je suis intéressé par la politique, en vue d’améliorer la façon avec laquelle les politiques internationales sont faites.
L’OIM, c‘est une organisation opérationnelle sur le terrain avec l’ambition de changer le monde mais « sur les deux jambes ». Après toutes ces années je ne suis pas blasé. Je suis encore un rêveur, toujours autant touché et ému de voir des progrès concrets.
Justement, racontez-nous votre carrière au sein de l’OIM.
En 2002, j’effectue un stage de six mois au sein du bureau de Bruxelles de l’OIM, dans le cadre d’une campagne de communication en faveur de l’intégration et l’accueil des réfugiés en Europe. Puis, j’y travaille en qualité de salarié un an de plus. Après cette expérience d’un an et demi, je décide de quitter l’OIM pour un poste d’enseignant chercheur à l’université de Louvain la neuve. Ensuite, je m’envole vers le Maroc, avec pour seul but d’y rejoindre ma petite amie de l’époque. Je reste néanmoins en contact avec l’OIM, car j’envisage lors de cette période sabbatique l’ouverture d’un bureau de l’organisation au Maroc.
Noel 2004, l’OIM me rappelle après le tsunami en Indonésie, et je réintègre alors l’organisation. De 2005 à 2008, à Jakarta, en Indonésie, mon travail avait un volet technique : la construction d’abris, et la gestion du flux des déplacés internes.
De 2008 à 2014, je suis en poste au Caire. Au moment de la crise en Irak, nous sommes déployés à la frontière entre l’Égypte et la Libye aux côtés de l’armée égyptienne pour assurer la protection et ordonner l’accueil et le retour volontaire des travailleurs migrants étrangers (irakiens, africains…).
De 2014 à 2021 je suis basé au bureau de Genève, où je travaille principalement sur le programme de lutte contre l’esclavage moderne. Nous effectuons des partenariats avec le secteur privé (chaines d’hôtel, marques d’habillement…), afin de les convaincre de leur responsabilité sur leurs chaines d’approvisionnement dans le monde.
Enfin, depuis 2021 je suis le chef du bureau de l’OIM à Beyrouth.
Comment définiriez-vous votre métier au Liban ?
En poste en Égypte, je venais souvent à Beyrouth. Aussi, j’étais heureux d’être muté au Liban. Peut-être est-ce dû à mon côté méditerranéen… Comme dans d’autres pays, nous œuvrons à y améliorer la situation des populations migrantes les plus faibles, telles les aides à domicile étrangères. Notre métier est de se confronter à la réalité du terrain, dans le but d’avoir un impact et une influence directe, et d’améliorer concrètement la situation des migrants en leur assurant une protection et, bien sûr, leur donner accès aux soins de santé. Vu le contexte difficile du pays nous avons dû changer notre approche et nous occuper également des populations libanaises les plus vulnérables au Akkar, en contribuant à créer des emplois en collaboration avec des entreprises libanaises.
Récemment, nos bureaux dans les pays frontaliers de l’Ukraine ont géré l’accueil, et facilité les papiers, le transport et l’hébergement des étudiants libanais ayant fui la guerre en Ukraine. Nous avons contribué ainsi à leur retour dans leur pays.
Au Liban, en tant que chef de bureau, j’ai aussi une mission de management. Motiver et guider les équipes dans un contexte où tout le monde est vidé d’énergie, et d’espoir, est un vrai défi.
Le CELSA vous a-t-il servi dans votre vie professionnelle ?
La communication est centrale dans notre métier! À commencer par les plaidoyers auprès des gouvernements, en vue de mettre en œuvre des politiques migratoires. Nous devons par ailleurs continuellement adapter notre discours à l’interlocuteur : le refugié, le migrant et l’état. Nous faisons également preuve d’ouverture d’esprit afin de confronter les opinions, et d’aborder les problèmes sous les différents angles des multiples protagonistes… Comprendre leur perspective, rétablir la confiance, échanger, écouter et trouver un terrain d’entente.
Quel sentiment avez- vous face à l’actualité de la guerre en Europe ?
Ce qui me frappe personnellement, c’est qu’en 2022 l’on parle d’iode, d’attaque nucléaire… Ce qui me frappe, c‘est que nous n’avons rien appris !
Mais, sur une note positive, je suis agréablement surpris. Je ne m’attendais pas à cet accueil fait aux ukrainiens, après les crises des réfugiés syriens. Si cette guerre peut changer le regard des populations sur l’asile fait aux réfugiés en général, c’est une bonne chose.
Malgré un certain sentiment de découragement car l’on n’arrive jamais à la paix, cette guerre m’a d’un autre côté revigoré en me rappelant le sens de notre mission, qui est de continuer d‘œuvrer pour la paix.
Quel conseil donnerez-vous aux étudiants et Alumni ?
Faire carrière à l’OIM, ou à l’ONU en général, peut paraitre très difficile, voire inatteignable.
Pourtant, on y trouve les mêmes postes que dans le privé ! Et, une carrière au sein de ces institutions peut commencer par un simple stage. Comme je vous l’ai dit plus haut, mon entrée était due à un hasard ! UN volonteers est aussi une porte d’entrée aux nations unies, accessibles pour les diplômés.
Parler plusieurs langues, surtout l’anglais, est indispensable. Enfin, il faut être attiré par d’autres pays et être intéressé par les problématiques internationales. Avoir un idéal. Et avoir la foi, ainsi que la confiance, que l’on contribue à mettre sa pierre à l’édifice.
Propos recueillis par Lina Zakhour , notre ambassadrice pour la zone du Liban - Koweit - UAE
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